8 Jours de kayak entre mer, fjord, lacs et rivières
« L’idée de partir en Suède n’est pas venue de nous, elle s’est imposée. Je devais me rendre à Göteborg en Suède pour une conférence. Et, comme à chacun (ou presque) de mes déplacements à l’étranger, Arthur et Suzon ont décidé de me rejoindre pour explorer les environs. Cette fois, nous avons décidé de profiter des nombreux lacs et rivières qu’offre la Suède pour voyager en kayak et nous perdre dans la nature préservée de ce pays immense.
Après quelques recherches sur internet, la côte nord de Göteborg s’est avérée réputée pour la beauté de ses paysages constitués d’une multitude de petits archipels de granite. La partie continentale, tout aussi sauvage, présente plusieurs grands lacs longiformes s'étirant du nord au sud. Au fur et à mesure de nos recherches, nous précisons le parcours. Nous partirons de la pointe sud du lac Norra Bullaresjön en direction du nord, descendrons la rivière Berbyelva, parcourrons le Fjord Iddefjorden avant de redescendre vers le sud en longeant la côte. La boucle est incomplète mais elle a le mérite de nous faire découvrir un large panel de paysages.
Nous bivouaquerons tous les soirs et nous nous réapprovisionnerons quand l’opportunité se présentera. L’avantage de partir en Suède, c'est d’avoir la liberté de faire du camping sauvage légalement presque n'importe où, c'est inscrit dans la loi. Le Right of Public Access suédois autorise le camping sauvage à condition de respecter l’environnement et ses habitants (pour plus d’informations : https://visitsweden.com/about-the-right-of-public-access/).
Le samedi 29 juin midi, après trois heures de train vers le nord au départ de Göteborg, nous récupérons les kayaks à Grebbestad, petite ville côtière vivant principalement de la pêche et du tourisme. Marcus et Ingéla gèrent l'entreprise de cours, de sorties et de locations de kayaks de mer Skärgårdsidyllen (www.skargardsidyllen.se). Leur centre est basé dans l'ancienne maison du père d’Ingéla, une cabane de pêcheur en bois rouge perchée sur des pontons les pieds dans l'eau. Les maisons typiques qui font le charme de la Suède.
Marcus nous dépose à notre point de départ et nous souhaite bon courage pour nos 8 jours de rame et 140 km à parcourir. Nous lui enverrons tous les soirs notre position pour le tenir informé de notre avancé et de notre état de forme. En échange, il nous enverra la météo annoncée pour le lendemain.
Une fois le matériel rangé dans les kayaks, nous nous lançons à l’assaut du lac Norra Bullaresjön. Les paysages sont déjà magnifiques. Après trente petites minutes de rame en direction du nord, nous nous arrêtons pour manger et régler nos kayaks sur une petite plage à l’ombre. Ces kayaks sont conçus pour les sorties en mer. Ils sont peu manœuvrant, c'est pourquoi ils sont équipés de dérives permettant de les diriger en actionnant des pédales. Il faut appuyer sur la pédale droite pour tourner à droite et sur la gauche pour tourner à gauche. Rien de bien compliqué, mais pour être à l'aise et parcourir autant de kilomètres, nous devons les régler à la bonne distance de manière à avoir les jambes légèrement fléchies. Suzon remarque un « truc qui bouge » à cinq mètres de nous, sur une souche d'arbre. C'est un serpent qui a la tête dans un trou, certainement en train d'attraper une souris. Nous ne cherchons pas les ennuis, nous mangeons tout en l’observant du coin de l'œil.
Nous repartons pour une dizaine de kilomètres. Nous décidons volontairement de ne pas trop forcer le premier jour, n'ayant pas l'habitude de faire régulièrement du kayak. Nous avons de la chance, le vent est avec nous et nous pousse vers le nord. Nous posons « nos valises », un sac étanche d'environ 45 litres chacun plus nos provisions, nos réserves d'eau, nos équipements de cuisine et nos deux tentes sur une petite plage de sable, à l'abris du vent et au soleil.
Nous reprenons la route au matin. Trois kilomètres nous séparent de l’extrémité nord du lac qui débouche sur la rivière Berbyelva. En nous engageant sur la rivière, nous passons la frontière Norvégienne. Cette rivière est connue des pêcheurs de saumon. Le record a été battu récemment avec un saumon de près de 16 kg.
Nous avons identifié ce passage comme l'un des plus difficile de notre parcours en étudiant les vues satellites, les photos prises depuis les ponts et les vidéos de pêche. De nombreuses zones peu profondes parsemées de rochers, des zones de rapides, des cascades et barrages nous attendent. Lors de notre préparation, la première entreprise de location de kayaks que nous avons contactés a refusé de nous louer du matériel pour ce parcours qu'ils jugeaient infaisable. Cet avis donné par des locaux et le fait que nos kayaks sont conçus pour la mer nous laisse dans l’incertitude.
La descente de la rivière s'est révélée comme promis difficile avec des passages où nous avons dû porter ou encorder les kayaks. Peu manœuvrant et difficiles à maîtriser en eau vive, ils ne nous ont pas facilité la tâche sur les zones de rapides où il fallait parfois faire des virages secs pour contourner les obstacles. Vers 20h, après 10 heures d’efforts, nous finissons enfin par apercevoir le fjord.
Ce soir, nous passons notre première nuit en Norvège. Les compartiments étanches des kayaks ont pris l’eau et l’urgence est à faire sécher les duvets et matelas. Heureusement, le soleil se couche tard en Suède, vers 23h. Notre seul et unique rouleau de papier toilette est détrempé. Il a absorbé toute l’eau du fond d'un des compartiments. Pas de bol, il va falloir trouver une solution, ça presse… Nous posons notre tente, mangeons et ne tardons pas à aller nous coucher.
Au matin, je retrouve Arthur et Suzon les pieds (de la tente) dans l'eau. Erreur de notre part, nous n'avions pas anticipé l’influence de la marée. Les kayaks n'ont heureusement pas été emportés. Je les accrocherai tous les soirs « au cas où » à partir de maintenant !
Ce fjord fait 40 km de long et sépare la Suède (rive gauche) de la Norvège (rive droite). Le vent nous est moins favorable mais les alentours vallonnés nous permettent de nous mettre à l'abris des bourrasques. Après une vingtaine de kilomètres, nous traversons le fjord de part en part (dont les eaux sont très agitées par le vent fort qui souffle) pour entrer dans le port de Halden et aller nous ravitailler en eau, nourriture et surtout papier toilette. Ils ne sont vendus, comme en France, que par paquets de six. On en met donc trois de côté à l'abris des entrées d'eau et on donne les trois autres à des habitants amusés. Des étrangers ne vous offre pas du PQ tous les jours. Nous reprenons la route en direction de la mer. Nous sommes dans le coude du fjord et nous faisons donc maintenant route vers l'est et le détroit du Skagerrak.
Il se fait tard, nous nous échouons sur une petite île située au milieu du fjord pour y passer la nuit. Je plante ma tente à 20 cm de la laisse de mer (dépôt d'algues indiquant le niveau de l'eau à marée haute). Arthur et Suzon plantent la leur en hauteur cette fois, sur des rochers lisses et bien plats. Nous découvrons en explorant l'île une petite cabane en bois rouge style scandinave. Elle comporte une partie poubelle et des toilettes sèches à disposition gracieuse des campeurs de passage. Nous y déposerons, entre autres, quelques déchets plastiques ramassés sur les plages de l’île. Au soir, nous pêchons le cabillaud au leurre en regardant le soleil se coucher. Arthur prend un petit cabillaud d’une trentaine de centimètres qu'il remettra à l'eau délicatement.
Au moment de partir le lendemain matin, un phoque vient à notre rencontre. Depuis nos kayaks et pendant nos bivouacs, nous aurons rencontrés au fil de notre parcours une multitude d’espèces d'oiseaux, de mammifères, de reptiles et de poissons. Nous pagayons pendant trois heures tout en péchant certains spots nous semblant propices au cabillaud. Arthur finit par prendre un maquereau, signe que nous ne sommes pas loin de la mer ! Quelques minutes plus tard, nous donnons nos premiers coups de pagaies dans le détroit du Skagerrak. Nous nous arrêtons à la première encablure pour allumer un feu et déguster le fruit de notre pêche !
Nous entamons maintenant notre descente vers le sud. Le vent forcit dans l’après-midi, la houle augmente, notre situation très exposée au vent et aux vagues devient dangereuse. Nous décidons d’aller nous mettre à l'abris sur l’île Søndre Sandøy et d’y passer la nuit. Cet endroit nous permettra d'avoir le vent dans le dos le lendemain pour traverser l'un des passages les plus exposés aux vagues de notre parcours. Nous trouvons une petite baie de sable accueillante. Arthur et Suzon nous dégote un festin d'huitres, de moules, de bigorneaux, de crevettes et d’asperges sauvages. Les deux autres maquereaux péchés pendant notre traversée accompagnent le tout. Cerise sur le gâteau, Suzon ramasse des fraises des bois pour notre désert. La nature nous gâte !
L'allure à laquelle nous avançons et la météo annoncée nous permet de modifier légèrement notre parcours. Nous passerons par le parc naturel Kosterhavets. Pour atteindre ces îles et les quitter sans perdre trop de temps, il nous faudra réaliser à l'allée une traversée de 2 km et au retour une traversée de 3 km. Nous devons nous assurer que la météo sera suffisamment bonne pour nous permettre de parcourir ces distances en toute sécurité. Par chance, le vent est avec nous. La surface n'est pas parfaitement lisse et la houle se fait sentir mais nous engageons notre première traversée jusque Sydkoster. Cette île est magnifique et le temps y semble comme arrêté. Nous ne croisons que des vélos ou des petites voitures électriques type caddy de golf. Il est malheureusement interdit de camper sur cette île. Nous reprenons donc nos kayaks après avoir fait le plein de provisions pour aller nous poser sur l'une des seules îles du parc où le camping est autorisé, Bockholmen. Nous serons pour 24h les Robinsons Crusoés de cette petite île de granite, seuls et loin tout. Au soir, autour du feu, nous faisons cuire nos pølser sur une pierre plate, une sorte de grosse saucisse typique scandinave. Un goéland profite que nous ayons le dos tourné pour en gober une au passage. Il nous tournait autour depuis un moment. On sait maintenant ce qu’il attendait des trois touristes…
Un vent fort nous empêche de partir dans la direction que nous devons emprunter. Nous attendons toute la journée l’accalmie et le changement de direction annoncés. À 17h, le vent n'a toujours ni faibli, ni changé de direction. Nous décidons tout de même à partir en espérant que les prédictions soient bonnes et que le vent finisse par changer. Après deux kilomètres parcourus entre les petites îles, nous le sentons enfin, ce vent du nord-ouest qui nous pousse gentiment vers la terre ferme. La traversée est longue, fatigante et houleuse. Je vois à certains moments Suzon et Arthur disparaître dans le creux des vagues. Nous restons concentrés et achevons la traversée avec, à la clé, deux maquereaux au bout de nos lignes. Le repas de ce soir est sauvé !
Nos deux derniers jours se passent sans encombre. Marcus nous annonce que le passage de la réserve Tjurpannans risque d’être houleux à cause du vent des derniers jours. Il nous propose de venir nous chercher avant contre 50 euros ce que nous refusons gentiment. Ce passage est en réalité une blague en comparaison avec nos dernières traversées. Nous passons notre dernière nuit sur une toute petite plage où l'eau est d'une transparence et d'une couleur digne des Caraïbes.